Lost at Sea: Confronting GPS Jamming and Spoofing in Maritime Operations

Résumé
Animé par Jakob Larsen, BIMCO a réalisé un webinaire le 3 septembre 2025 avec deux officiers du MARCOM de l’OTAN, Éric (Marine nationale française) et Kadir (Marine turque), sur les menaces de brouillage et de leurrage GPS dans les opérations maritimes.

Éric a mis en avant plusieurs incidents récents : l’avion d’Ursula von der Leyen perturbé par du brouillage en Bulgarie, le navire marchand Green Admire victime de leurrage GPS à proximité de la Russie, ainsi que la zone habituelle de leurrage GPS en Méditerranée orientale liée à des activités militaires. Il a souligné que les perturbations GNSS constituent désormais un outil délibéré de la guerre hybride, et non un accident.

Les zones sensibles actuelles incluent la mer Baltique, la mer Noire, la Méditerranée orientale et la mer Rouge. Kadir a insisté sur l’importance du site du NATO Shipping Centre et des canaux de signalement d’interférences cyber pour un partage rapide des incidents.

Éric a expliqué la différence entre le brouillage (blocage du signal) et le leurrage (injection de faux signaux) et leurs conséquences : perturbations de navigation, erreurs de synchronisation affectant les systèmes des navires, risques pour la sécurité, ainsi que des impacts militaires et logistiques. Le leurrage est particulièrement insidieux car les équipages ne détectent pas toujours les positions falsifiées. Kadir a ainsi cité l’échouement du MSC Antonia en mer Rouge comme un cas concret de leurrage ayant provoqué un accident réel.

Ils ont noté la publication récente d’avis aux navigateurs (NAVWARN) en Mer Baltique concernant des interférences GNSS, AIS et RADAR sur des zones étendues, appelant les équipages à se préparer à l’utilisation de systèmes de navigation dégradés. Les motivations du brouillage GPS incluent sont essentiellement politico-militaires, à des fins de protection des forces et les stratégies d’Anti-Access/Area Denial (A2/AD), mais aussi d’influence. L’attribution reste difficile.

Les mesures d’atténuation évoquées comprenaient : l’utilisation de l’eLORAN et de systèmes terrestres, d’antennes directionnelles comme les antennes CPRA que nous avons déjà évoqué ici et filtres de signal, la redondance par RADAR et navigation inertielle, la vérification par cartes et relèvements visuels, la formation des équipages, les sources locales de temps et l’usage d’autres constellations (Galileo, BeiDou, GLONASS). Aucun GNSS n’est toutefois totalement sûr face au brouillage militaire. Les solutions futures pourraient inclure les signaux Galileo chiffrés et même des systèmes de positionnement stellaire assistés par IA.

Lors des questions-réponses, les intervenants ont précisé que le GPS différentiel ne peut pas contrer le leurrage, que GLONASS semble mieux résister au brouillages en raison de la diversité de ses fréquences, mais n’est pas invulnérable, et que les récepteurs multifréquences exigent en général une commutation manuelle. La formation demeure essentielle, avec les directives de l’OMI, les exigences des États de pavillon et les méthodes de navigation de secours.

La session s’est conclue par trois points clés :

  1. Le brouillage et le leurrage sont réels et en augmentation.

  2. Les risques dépassent la simple navigation et touchent à la sécurité et à la sûreté.

  3. La résilience repose sur la technologie, les procédures et la coopération internationale.

La vidéo est disponible sur le site de BIMCO : https://www.bimco.org/news-insights/video/2025/09/03-gps/

Transcription

Jakob Larsen : Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue à ce webinaire de BIMCO consacré au brouillage et au leurrage de la flotte marchande. Aujourd’hui, nous avons avec nous deux experts renommés du Commandement maritime de l’OTAN qui vont nous informer sur la menace actuelle, présenter certains incidents observés, et expliquer ce que l’industrie du transport maritime peut faire pour se protéger au mieux contre ce risque. Du Commandement maritime de l’OTAN, nous accueillons Kadir et Éric. Ils vont maintenant nous présenter leur exposé, suivi d’une séance de questions-réponses. (…)

Eric : Merci beaucoup, Jakob. Bonjour Mesdames et Messieurs. Je suis le Capitaine de corvette Éric de la Marine nationale française, et avec mon collègue le Capitaine de corvette Kadir, Marine turque, nous allons aujourd’hui vous présenter notre exposé intitulé : « Perdu en mer : faire face au brouillage et au leurrage GPS dans les opérations maritimes ». Passons maintenant directement à la présentation.

Il y a deux jours, la plupart d’entre vous ont probablement entendu parler d’un incident survenu en Bulgarie. En fait, l’avion d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a été impacté par une action de brouillage GPS, ce qui a obligé son avion à rester bloqué dans un aéroport bulgare. De plus, le 25 mai, vous avez sûrement entendu parler du Green Admire, un navire marchand qui a été saisi par les forces russes près de la frontière russe. Si vous regardez l’image en bas à droite, quelque chose de très particulier s’est produit avec ce navire, notamment sur ses traces AIS. Dès qu’il a été envoyé vers une île russe, il est apparu que le navire présentait un comportement très étrange, effectuant des mouvements circulaires que nous appelons dans le domaine du brouillage et du leurrage GPS, des crop circles déjà observés en Chine ou ailleurs dans le monde. Cette action est clairement le résultat d’un leurrage GPS, en modifiant artificiellement la position du navire, ce qui a une conséquence directe sur le rapport AIS. Pour terminer cette introduction, en décembre 2024, l’action de brouillage GPS a été très importante au tout début du mois en Méditerranée orientale. Mais dès que le régime syrien et les forces russes ont quitté la côte syrienne, notamment à Tartous, nous avons observé 15 jours plus tard presque plus d’actions de brouillage GPS. Je tiens à souligner que le brouillage GPS n’est plus seulement une erreur ou un test de script kiddie. Il s’agit aujourd’hui d’un mode d’action clair utilisé par les nations, les armées et les gouvernements pour avoir un effet dans le domaine de la guerre hybride.

Quelle est donc la situation actuelle ? Cette vidéo rapide de la semaine dernière montre les zones les plus impactées dans le monde. Nous avons tout d’abord deux zones de brouillage permanentes en mer Baltique, entre la frontière allemande et le golfe de Finlande. Nous avons également une zone globale de brouillage GPS en mer Noire. Quelques brouillages GPS sont encore identifiés en Méditerranée orientale, et nous avons une zone de brouillage GPS permanente au milieu de la mer Rouge. Parfois, ce n’était pas le cas la semaine dernière, mais parfois du brouillage GPS a aussi lieu dans le golfe Persique. Il existe d’autres zones dans l’océan Indien et ses mers, mais cela se situe hors de la zone de responsabilité de l’OTAN et de MARCOM. Nous nous concentrons donc sur ce qui se passe dans la zone de responsabilité de MARCOM autour de l’Europe.

Kadir : Et c’est un excellent moment pour rappeler le rôle et la fonction du NATO Shipping Centre. Avant d’aborder les aspects techniques de l’interférence GNSS, je souhaite mettre en évidence un point directement utile à tous ici : le site web du NATO Shipping Centre, https://shipping.nato.int. Ce site est une plateforme centrale d’informations sur la sécurité maritime dans la zone de responsabilité de l’OTAN, incluant le signalement des incidents liés aux adversaires et des directives pour la navigation commerciale. Une fonctionnalité à laquelle je veux particulièrement attirer votre attention est le canal de signalement des interférences cyber. Cela permet aux marins et aux opérateurs de rapporter rapidement des suspicions de leurrage GNSS, de brouillage, et toute autre anomalie de navigation liée au cyber. Un signalement rapide, comme vous le savez, ne protège pas seulement votre propre voyage, mais contribue également à une image maritime partagée bénéfique pour toute la communauté maritime ainsi que pour les forces alliées. Plus nous partageons rapidement les données, plus vite nous pouvons détecter les schémas et émettre des avertissements. Je répète notre site web : https://shipping.nato.int, vous y trouverez les liens vers les canaux de signalement des interférences cyber.

Eric : Merci beaucoup. Il est très important pour moi, en tant que technicien cyber, d’avoir vos rapports, car nous construisons surtout notre carte de sensibilisation que nous partageons avec les compagnies de navires marchands à partir de sources ouvertes et militaires. Plus nous aurons d’informations fiables, plus notre capacité de veille sera précise. C’est donc un échange gagnant-gagnant. Je sais que la plupart d’entre vous en êtes conscients, mais très rapidement, en deux minutes, quelle est la différence entre le brouillage et le leurrage GPS ? Le brouillage GPS consiste à bloquer le signal GPS légitime venant des satellites avec du bruit sur la même fréquence. La conséquence est claire : le brouillage GPS empêche le récepteur GPS de calculer une géolocalisation, une position, une heure précise ou un cap. Le leurrage est légèrement différent et, pour être honnête, beaucoup plus difficile à réaliser. Il s’agit de la capacité d’émettre sur les mêmes fréquences que les satellites un signal imitant exactement le signal GPS légitime, mais en modifiant les données pour forcer le récepteur GPS à calculer une position fausse. Mais quelles sont les conséquences ? Tout d’abord, perturbation de la navigation. Il existe clairement un risque d’accident, de collision, et les navires peuvent perdre leur route car ils ne sont plus capables de calculer automatiquement, via les informations GPS, où ils se trouvent et où ils doivent aller. Le deuxième point, moins connu, est la perte de précision temporelle. À bord des navires numériques, beaucoup de systèmes dépendent d’une source de temps précise. Dans la plupart des cas, cette source de temps précise provient du récepteur GPS. Si nous brouillons le signal GPS, le récepteur ne pourra pas calculer un temps précis, ce qui affectera les capacités de nos systèmes de communication et d’information à utiliser une source de temps exacte. Il existe bien sûr un risque pour la sécurité, pour l’aviation, bien entendu, mais aussi dans le domaine maritime, car les navires peuvent être forcés de s’échouer ou de se perdre s’ils ne disposent pas d’informations GPS légitimes et précises. En tant que militaire, je me concentre bien sûr sur la sécurité nationale et alliée. Le brouillage GPS est aujourd’hui utilisé comme une cyber-guerre pour perturber les infrastructures critiques, les systèmes de défense et même les véhicules autonomes tels que les drones qui dépendent du GPS pour le temps et la localisation. Le brouillage GPS est quelque chose de très facile à faire à grande échelle avec une puissance limitée, ce qui affecte de vastes zones du domaine maritime, comme je vous l’ai montré sur la carte. Pour nous, en tant que militaires, et pour vous, en tant que compagnies maritimes, cela a clairement un impact sur la capacité de naviguer en toute sécurité et de trouver notre route, donc de réaliser notre mission. Le leurrage GPS a également des conséquences techniques. Il est plus insidieux. Au lieu d’une panne complète, l’équipage ne voit que de fausses informations GPS, qui peuvent être transmises aux systèmes de bord, par exemple l’ECDIS. Un navire peut penser être sur sa route planifiée, alors qu’il dérive réellement dans des eaux dangereuses. Les conséquences incluent le détournement de cap, pouvant entraîner un échouement ou une collision. Du point de vue militaire, des drones ou missiles peuvent être induits en erreur avec des résultats potentiellement catastrophiques. Il y a des conséquences sur la chaîne logistique, car le suivi de cargaisons leurres peut être perturbé et la capacité logistique globale entravée, et peut-être le plus dommageable : cela sape la confiance dans le GPS et oblige nos équipages à être beaucoup plus impliqués en haute mer et pas seulement près des côtes.

Kadir : C’est un bon moment pour donner un exemple du 10 mai de cette année, le MSC Antonia, qui s’est échoué au sud de Djeddah en Arabie Saoudite en mer Rouge. Bien que ce soit hors de notre zone de responsabilité de l’OTAN, nous suivons aussi tous les incidents maritimes mondiaux au NATO Shipping Center. Le 10 mai de cette année, le porte-conteneurs de 7000 tonnes MSC Antonia s’est échoué près du port de Djeddah. L’analyse indique que le navire a probablement été affecté par un leurrage GPS délibéré. De faux signaux satellitaires ont été injectés dans son système de navigation, provoquant une déviation de sa route prévue. Cet incident est un exemple concret de l’impact immédiat des interférences GNSS : un grand navire échoué dans une voie maritime encombrée, nécessitant des opérations de sauvetage et un risque environnemental potentiel. Cela souligne également une leçon opérationnelle clé : une dépendance excessive aux systèmes GNSS.

Cela souligne également une leçon opérationnelle clé : une dépendance excessive aux systèmes GNSS sans vérification croisée avec le RADAR, les relèvements visuels ou d’autres moyens de navigation rend les navires vulnérables. Dans les zones contestées ou à haut risque, les équipes de passerelle doivent être prêtes à détecter et répondre aux anomalies de navigation en temps réel.

Eric : Mais les États ne restent pas passifs face à ce problème. Certains NAVWARN ont été publiés ces derniers mois concernant le brouillage et le leurrage GPS.

Kadir : En mer Baltique, comme nous l’avons mentionné, les interférences GNSS sont largement observées et certaines nations de l’OTAN ont d’abord publié leurs avertissements de navigation séparément, puis ils ont été combinés en un avertissement unique illustré dans le diaporama, numéro 026/25 émis le 2 juillet. Il couvre le sud, le centre et le nord de la Baltique, le golfe de Finlande, Riga et la mer d’Åland. L’avertissement rapporte des interférences GNSS, AIS, RADAR et DGPS observées dans cette vaste zone, et tous les marins sont invités à faire preuve de prudence et à se préparer aux impacts sur la navigation. C’est un avis significatif, car il ne s’agit pas seulement du GNSS, mais de multiples systèmes de navigation et de suivi simultanément dégradés. Cela signifie que la redondance est réduite et que la conscience situationnelle peut être rapidement compromise. Pour les opérateurs en Baltique, c’est un rappel de briefer les membres d’équipage et toute votre équipe, de revoir les procédures de navigation manuelle et de s’assurer que tous les veilleurs sont alertes à toutes les possibilités de données de position dégradées ou trompeuses. Vous pouvez trouver cet avertissement de navigation sur le site suédois NavWarn [https://navvarn.sjofartsverket.se/en/Navigationsvarningar/VHF].

Eric : Alors, pourquoi attaquer le GPS ? Voyons la motivation. En tant que MARCOM, nous identifions principalement deux types de motivations. Tout d’abord, politique. Attaquer le signal et le système GPS est avant tout un signal de puissance et d’influence. Un pays ou un gouvernement capable d’impacter le GPS à grande échelle est clairement une nation disposant d’une capacité avancée en guerre électronique. C’est aussi, comme je l’ai mentionné, une manière de saper la confiance dans le système de positionnement mondial. Cela accompagne évidemment les campagnes d’influence et de propagande. Eric : En tant que militaire, je me concentre surtout sur la motivation militaire. Attaquer le GPS est une action de protection des forces. En niant l’utilisation du GPS sur une grande zone, on protège son infrastructure, port, base aérienne, navires, en refusant la capacité à identifier via AIS, à utiliser des munitions guidées par GPS ou des véhicules autonomes, surface ou aériens. C’est donc principalement défensif et protecteur. Eric : C’est également une action Anti-Accès et Déni de Zone (Anti-Access/Area Denial A2/AD). Elle empêche les adversaires d’accéder à une zone contestée qui devient dangereuse, et elle dégrade l’efficacité de l’ennemi en désorientant les forces, en aveuglant les capacités de surveillance, par exemple en refusant l’accès aux drones d’observation. Cela permet aussi d’entraîner et de tester les capacités en guerre électronique en temps de paix.  En résumé, la perturbation GPS devient une arme stratégique. Elle est peu coûteuse et peut être réalisée par un script kiddie avec un simple émetteur radio. Elle est efficace car aucun système ne protège totalement le GPS pour le moment, et il est très difficile d’attribuer l’origine. Est-ce un problème solaire ? Une action gouvernementale ? Quelqu’un qui joue avec la radio ? Il est difficile d’attribuer cela à un pays. Nous savons que certaines zones en Baltique, en Méditerranée orientale et en mer Noire sont probablement liées à la situation militaire actuelle, mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Nous observons juste les faits. Pour finir ma présentation, parlons des capacités potentielles de réduction des risques. Tout d’abord, utiliser des systèmes de navigation alternatifs. Certains systèmes abandonnés par la digitalisation des navires au cours des 20 dernières années sont de retour à bord. Des systèmes de positionnement complémentaires, utilisant non pas des satellites mais des radios terrestres, comme l’eLORAN, sont revenus sur les fréquences. Il avait été abandonné il y a 20 ans, c’était le LORAN, et il est maintenant de retour aux USA et en Corée du Sud comme LORAN amélioré. Le problème de ce système est qu’il est limité en distance et ne couvre pas le globe. Il existe ensuite des technologies anti-brouillage et anti-leurrage existantes : antennes directionnelles. Lorsque le signal légitime vient des satellites, il vient d’en haut. Si je reçois un signal venant de gauche ou de droite, ce n’est pas un signal légitime. Les antennes directionnelles pointant directement vers la constellation satellite permettent d’identifier et de rejeter les faux signaux. De même, des filtres de signal peuvent identifier la forme d’onde spécifique du signal légitime et filtrer les faux signaux. Vous pouvez également utiliser la redondance et la vérification croisée. Nous sommes marins, nous avons tous un sens marin commun : utilisez d’autres moyens comme le RADAR, le système inertiel, comparez votre route avec ce que vous observez, utilisez les cartes et les plans. Même les cartes papier restent utiles et obligatoires. L’observation visuelle de l’environnement est également importante, notamment près des côtes. Vous pouvez aussi surveiller en temps réel les systèmes et identifier les anomalies comme une capacité d’alerte précoce. Vous pouvez utiliser d’autres constellations GNSS. Il n’y a pas que le GPS : Galileo, BeiDou, ou GLONASS sont disponibles. Utilisez-les pour vérifier si le GPS a été brouillé. Mais aucun système GNSS n’est totalement protégé contre le brouillage militaire. Formez vos équipages : reconnaître les perturbations GPS, utiliser la navigation manuelle. L’éducation est la clé. Quand un humain sur le pont principal identifie un problème de géolocalisation automatique et qu’il est bien formé, il peut prendre les commandes et éviter l’échouement. Pour les problèmes de temps précis, il existe aussi des sources de temps locales, des horloges précises, de retour à bord. Elles utilisent des sources nucléaires ou atomiques et ne sont pas un gaspillage d’argent ; elles servent à la mitigation des risques. Pour conclure, trois points : le brouillage et le leurrage GPS sont réels et menacent de plus en plus ; le risque va au-delà de la navigation et concerne la sécurité et le commerce ; la résilience nécessite technologie, procédures et coopération internationale. La sécurité en mer dépend de la confiance dans la navigation. Quand cette confiance est attaquée, la réponse doit être la résilience.

Jakob Larsen : Éric et Kadir, merci beaucoup pour cette présentation très intéressante, qui couvre tout le problème du brouillage et du leurrage GNSS. Je suis sûr que le public aura des questions détaillées. Nous avons déjà une question dans l’onglet Q&R. Première question : pourquoi le GPS différentiel ne peut-il pas contrer le leurrage ?

Eric : Le GPS différentiel utilise principalement deux sources : le signal GPS légitime venant des satellites et une source terrestre de position précise. La comparaison permet de calculer un différentiel. Mais si la position réelle évolue à cause du leurrage, le différentiel ne modifie que la position calculée par le leurrage et non la position légitime. Pour le récepteur terrestre, tout est normal et il émet une position normale. Pour le navire en mer, leurré, la position différentielle ne fait aucune différence.

Jakob Larsen : Donc le GPS différentiel ne donne qu’une précision légèrement meilleure, mais si la position est complètement leurre, il n’a aucun impact.

Eric : Exact, il ne modifie que la position leurrée.

Jakob Larsen : Nos navires sont fréquemment confrontés au leurrage GPS en naviguant dans le détroit d’Hormuz et les approches des ports du golfe Persique. Ils ont essayé de passer au système GLONASS, mais aucune position n’était affichée. Pouvez-vous conseiller d’autres mesures adaptées pour une navigation sûre dans ces zones ?

Kadir : Avant qu’Éric n’aborde l’aspect technologique, en tant que marin, je recommanderais de signaler cet incident au propriétaire du navire ou à l’opérateur commercial. C’est une étape nécessaire, en plus de l’aspect technologique. Ensuite, il existe des centres de coordination de sauvetage maritime dans la région. Il serait donc pertinent de se référer à leurs recommandations, car ils sont responsables de fournir le support en cas d’échouement.

Jakob Larsen : Merci beaucoup Kadir. Éric, avez-vous quelque chose à ajouter ?

Eric : Non. En fait, GLONASS est, pour être honnête, le plus fiable contre le brouillage et le leurrage, car il utilise 12 fréquences et non une seule, ce qui le rend beaucoup plus difficile à brouiller ou à leurrer. Mais face à une capacité militaire de guerre électronique à grande échelle, aucun système GNSS ne peut être protégé contre le brouillage. Mon conseil est donc d’utiliser des informations terrestres, de revenir aux cartes, aux systèmes inertiels locaux et de compter sur la capacité des officiers à naviguer à l’ancienne, en observant les étoiles, le sol et les lumières côtières. Aucun GNSS ne peut être protégé contre un brouillage militaire.

Jakob Larsen : Dommage, mais c’est la réalité et les armateurs doivent s’adapter. Il faut revenir aux vertus de la navigation terrestre, au RADAR, à l’indexation parallèle et autres. Cela fonctionnait dans le passé et cela fonctionne toujours.

Eric : Dernier point sur cette question : il existe de nouveaux systèmes de positionnement stellaire sur le marché, qui fonctionnent de jour comme de nuit et par temps nuageux, avec des systèmes optiques avancés et basés sur l’IA. Ils permettent la géolocalisation à partir des étoiles, une méthode ancienne mais avec un système numérique et piloté par l’IA. Je ne fais pas de publicité pour une marque, mais on peut les trouver sur Internet.

Jakob Larsen : Très intéressant, c’est nouveau pour moi. Merci pour l’info, Éric. Autre question : quelle formation est recommandée pour les officiers de l’industrie maritime ?

Kadir : C’est difficile pour nous car nous venons du militaire et recevons notre formation de nos nations respectives. Pour l’industrie, il faut se référer aux circulaires de l’OMI et aux manuels de bonnes pratiques disponibles dans certaines organisations et États du pavillon. Consulter l’État du pavillon peut montrer une meilleure perspective de formation pour l’équipage. Vérifier les ECDIS secondaires à bord, leur fonctionnement si le primaire est hors service, la mise à jour des cartes, permet au capitaine de former l’équipage. Comme dit l’OTAN : « entraînez-vous comme vous combattez et combattez comme vous avez appris ».

Jakob Larsen : Merci Kadir. Les cours ECDIS des institutions maritimes forment aussi aux pannes et aux difficultés techniques, ainsi qu’au brouillage GPS. Et bien sûr, toujours naviguer avec deux moyens indépendants de navigation pour vérifier la position. Question suivante : les récepteurs multifréquences peuvent-ils basculer automatiquement, ou nécessitent-ils un changement manuel lors du brouillage ?

Eric : La plupart sont basés sur GPS et utilisent d’autres constellations GNSS en alternance. La plupart nécessitent un basculement manuel. L’IA et la comparaison de géolocalisation pourraient permettre des récepteurs automatiques, mais je n’en ai pas vu pour l’instant. Le basculement est encore manuel, par le capitaine avec observation visuelle ou ECDIS. Pour répondre à Amid Kumar : les systèmes Galileo, BeiDou et GLONASS sont-ils plus susceptibles au leurrage ? Galileo, BeiDou et GPS utilisent le même système et les mêmes fréquences, donc si l’un est brouillé, les trois le sont. GLONASS est différent et plus robuste au brouillage. Pour le leurrage, GPS et BeiDou ne sont pas chiffrés. Galileo, lorsqu’il sera disponible, aura un système protégé par chiffrement, permettant au récepteur d’identifier par signature numérique le signal correct et de rejeter les signaux non authentifiés. Cela sera très utile contre le leurrage. L’avenir réside clairement dans les services civils chiffrés, et Galileo en fera partie.

Jakob Larsen : Kadir, Éric, merci beaucoup pour votre temps et cette présentation très utile. Merci également d’avoir répondu aux questions restantes. Nous partagerons l’enregistrement de ce webinaire, les questions-réponses et les liens pertinents vers le site du NATO Shipping Center pour signaler les incidents de brouillage et de leurrage.

L’agence spatiale européenne finance la recherche sur les risques liés aux systèmes de positionnement par satellite.

Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises : les risques liés aux systèmes de positionnement et de suivi des navires par satellites sont nombreux. C’est dans ce cadre que l’Agence spatiale européenne (European Space Agency, ESA) a annoncé récemment financer une étude de faisabilité sur le développement d’une solution pour la sécurisation de ces systèmes.

L’ESA a passé un contrat avec la société suisse CYSEC SA pour identifier les solutions qui permettraient de sécuriser les services de suivi et de positionnement par satellite pour le monde maritime. Les risques, qui passent essentiellement par le leurrage et le brouillage de systèmes de positionnement par satellite (GNSS), comme nous l’avions vu ici. C’est parfois moins connu, mais les données AIS (Automatic Identification System) peuvent également transiter par satellite. On parle alors de S-AIS ou SAT-AIS. Il suffit de regarder, par exemple sur Marine Traffic, le nombre de positions AIS reçues par satellite pour en être convaincu.

Les données issues de l’AIS et les signaux GNSS reçus par satellite sont indispensables pour permettre aux navires d’aujourd’hui et de demain de naviguer en toute sécurité, notamment dans les détroits et les zones dangereuses. Elles le sont également pour les armateurs, les assureurs et les autorités à terre qui les exploitent à des fins de suivi d’activité et de détection d’anomalie et de secours en mer. Pour autant, le nombre d’incidents de brouillage et de leurrage GNSS augmente fortement au cours des années, ce constat ayant récemment poussé les Etats-Unis à le porter à l’attention de l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

L’objectif de l’étude est donc de travailler à la fois sur la sécurité GNSS et celle du lien S-AIS. Je referai un article sur le sujet si les compte-rendus de l’étude sont publics. Nul doute qu’on y verra (espérons !) de la cryptographie sous toutes ses formes, de la mesure de qualité des capteurs et de la détection d’anomalies !

Les États-Unis se plaignent auprès de l’Organisation Maritime Internationale de l’explosion du nombre de perturbations des signaux de positionnement par satellite.

Je vous en ai parlé à plusieurs reprises : les signaux GPS (et GNSS au sens large) sont essentiels au fonctionnement quotidien en sécurité du monde maritime. J’ai évoqué avec vous les risques liés au leurrage ou brouillage de ces signaux, les risques particuliers liés aux véhicules maritimes autonomes, ainsi que de quelques exemples, notamment dans le Golfe Persique.

Le 10 mars 2020, les États-Unis ont fait connaître auprès du Maritime Safety Commitee de l’Organisation Maritime Internationale (OMI/IMO) leurs préoccupations sur la multiplication des perturbation des signaux GPS et GNSS. Le document demande à l’OMI et statuer de manière urgente sur les cas de brouillage et de leurrage qui met en danger la sécurité des navires et des marins en mer. Après avoir rappelé les cas intentionnels connus en mer Noire et en Méditerranée orientale de 2016 à 2018 (suivez mon regard…) ayant impacté la navigation en eaux internationales et dans des zones de fort transit maritime, le document souligne le caractère presque systématique de ces cas de leurrage/brouillage. Il s’appuie pour cela sur des recherches ayant montré que, sur une année, chaque transit d’un cargo entre l’Europe et l’Asie du Sud-est permettait d’identifier la survenue d’au-moins un cas d’interférence GNSS.

Ces brouillages intentionnels contreviennent aux conventions internationales, notamment l’International Telecommunication Union Radio Regulation 19.2, qui stipule que toute transmission dont la source est fausse ou trompeuse sont interdites.

En réponse, les États-Unis demandent à l’OMI d’émettre une circulaire :

  • rappelant aux états membres de l’OMI de ne pas commettre ce type d’opération, sauf quand cela est nécessaire pour des raisons de sécurité,
  • demandant aux états membres de prendre les actions nécessaire dans la prévention de ces interférences sur les satellites GNSS et de prévenir les marins des périodes et zones impactées par ces interférences.

Bon, en plus d’une circulaire, on espère surtout que les moyens de prévention (par exemple mais pas uniquement les antennes CRPA..), de détection et de résilience deviendront obligatoires à bord des navires.

Les risques cyber liés aux moyens de positionnement par satellite

Contexte

Aujourd’hui, le coût modeste (quelques dizaines d’euros pour un récepteur de base), la miniaturisation et la grande disponibilité des récepteurs GPS nous permettent de penser que ce réseau nous est toujours acquis. Ces facilités ont aussi permis le développement du GPS dans de nombreux secteurs d’activités dont il était auparavant absent (on peut penser au secteur médical, au suivi des animaux de compagnie, le sport, l’agriculture, les… tondeuses domestiques, la photographie et les grues portuaires (sur ce sujet, lire aussi cet article…)). A tel point qu’il est difficile de donner un chiffre précis sur le nombre de récepteurs GPS de par le monde.

Ce qui est parfois oublié, c’est que le GPS n’est pas qu’une histoire de positionnement. Avec positionnement de précision, le GPS apporte aussi des informations horaire de grande précision. Ainsi, de nombreux pans de l’industrie reposent, parfois sans le savoir, sur la technologie GPS comme information de temps. Cette information de temps sera aussi de plus en plus importante avec l’arrivée de technologies comme la 5G qui nécessiteront une grande précision d’horloge.

Cependant, cette facilité d’acquisition de récepteurs GPS et le développement de la radio logicielle ont facilité le développement de solutions low cost de leurrage et de brouillage GPS : les techniques qui étaient auparavant uniquement accessibles au gouvernement se retrouvent aujourd’hui sur YouTube et le matériel sur Amazon pour quelques centaines d’euros. Résultat : le nombre de cas de leurrage ou de brouillage GPS augmente (voir ici pour quelques exemples) et les contre-mesures tardent à arriver.

GPS et monde maritime

Avec l’aviation, le secteur maritime est probablement un des secteurs le plus dépendant à la navigation par satellite (Global Navigation Satellite Systems, GNSS)). Le secteur est devenu d’autant plus dépendant que, face au caractère pratique des systèmes GNSS, il a abandonné progressivement les solutions historiques de positionnement hauturier, notamment celles liées à la radionavigation. Ce constat est notamment lié aux conventions SOLAS de l’IMO qui imposent le transport d’un récepteur GNSS par tout navire soumis à cette convention. Si 87% des navires marchands disposent d’un récepteur GNSS, c’est aussi l’industrie du nautisme et de la pêche qui assurent une croissance forte du secteur. Les systèmes GNSS se devenus le mécanisme par défaut d’élaboration de la position, de la vitesse et du cap du navire, remplaçant parfois d’autres équipements traditionnels (loch, compas), le tout étant fusionné dans des systèmes de cartographie type ECDIS (Electronical Chart Display Information System) et diffusé par AIS vers les autres navires (lire cet article récent sur un exemple dans le port de Shangaï).

En 2017, une étude mandatée par le gouvernement du Royaume-Uni évaluait l’impact financier sur l’économie maritime d’une perte globale de GNSS pendant 5 jours à 1,1 milliard de livres ! Ce chiffre s’explique notamment par l’impact sur le débarquement des containers dans les ports et la dépendance, déjà mentionnée supra, des grues de débarquement aux systèmes de positionnement par satellite et donc à l’incapacité durant cette période d’assurer l’embarquement et le débarquement de containers. L’impact lié au secteur maritime est cependant plus important, avec notamment des risques réels liés aux systèmes de télécommunication ou encore aux systèmes d’horodatage. La véritable difficulté étant effectivement la mesure de l’impact : on imagine mal réaliser un exercice – réaliste – de leurrage ou de brouillage GPS sur un port en activité.

Le monde maritime se veut cependant résilient : à bord, les équipages doivent pouvoir trouver une solution de contournement, comme le retour à des systèmes de navigation plus traditionnels, mais qui deviennent de moins en moins appris et pratiqués de manière régulière (quoique…). Face aux risques liés aux systèmes GNSS, l’US Navy est revenue en arrière (comme pour les écrans tactiles en passerelle) en réintégrant la navigation astrale qu’elle avait abandonné depuis les années 2000. Autre impact : si la position GNSS est indisponible, les impacts sur d’autres systèmes dépendant de la position (AIS, par exemple) et de l’heure (systèmes synchronisés par NTP) sont aussi importants : l’information de position des navires sur les ECDIS ne sont plus exactes, ce qui peut engendrer de véritables risques de collision ou d’échouage.

Contre-mesures

Comment prémunir toute tentative de leurrage ou de brouillage d’un système GNSS ?

  1. La dépendance des installations et de l’activité au GNSS (position ET système d’horloge) doit être clairement établie. La menace pouvant évoluer suivant la position du navire, certaines zones sont plus soumises à des risques que d’autres (par exemple les zones de conflit).
  2. Surveiller attentivement les sites d’alerte (les alertes de dysfonctionnement, de leurrage et de brouillage peuvent aussi être diffusées par Standard C, Avurnav ou NAVTEX, mais parfois trop tard).
  3. Envisager l’emport de systèmes de positionnement alternatifs (par exemple Glonass et GPS ou Galileo et GPS).
  4. Prendre en compte l’absence de positionnement dans les plans de continuité et de reprise d’activité (PCA/PRA).
  5. S’assurer que les équipages (et les armateurs et les ports) soient sensibilisés sur le sujet et sachent détecter, réagir et alerter en cas de dysfonctionnement d’un GNSS.
  6. Utiliser certaines antennes, comme les antennes CRPA, pour se prémunir des tentatives de brouillage. Elles commencent à être de plus en plus nombreuses sur le marché. Voir cet article de recherche et celui-ci sur leurs performances (le premier doc est marqué « propriétaire et confidentiel », mais est indexé par les moteurs de recherche. Oups.)

Ah oui, j’ai parfois eu quelques questions sur « cyber/pas cyber » le risque lié au leurrage / brouillage GNSS. A partir du moment où cela peut avoir un impact sur un système d’information (en l’occurrence, l’ECDIS ou un système nécessitant une horloge précise), je m’y intéresse. Comme pour un incendie dans un datacenter 😉

Sources :

Les tensions US/Iran dans le Golfe persique font craindre (encore) du leurrage/brouillage GPS

L’administration américaine a émis un bulletin d’alerte à destination des navires transitant dans le Golfe persique et à proximité. Parmi les risques listés : des interférences GPS (brouillage/leurrage), mais aussi de l’intrusion, du brouillage et de l’usurpation dans les communications VHF avec les navires, certains navires se faisant passer pour des navires américains ou de la coalition.

Depuis mai 2019, l’administration américaine a recensé de nombreuses actions illicites dans la région, et, dans deux cas, des interférences GPS ont eu lieu en même temps.

Le 19 juillet 2019, le pétrolier britannique Stena Impero est arraisonné en eaux (internationales, omanaises, voire iraniennes ?) par les forces iraniennes. Selon le Daily Mirror, le GCHQ – le service de renseignement électronique britannique – et le MI6 – les services secrets extérieurs outre-manche – mèneraient une enquête pour vérifier si le navire n’aurait pas été l’objet d’un leurrage GPS mené soit par l’Iran, soit par la Russie, pour faire dévier le navire de sa position et le faire entrer dans les eaux iraniennes (sur ce point, les informations varient sur la position du navire à l’heure de l’arraisonnement). Cette information de leurrage semble aussi confirmée par la Lloyd’s List Intelligence, qui affirme avoir identifié des informations AIS suspectes à l’heure de l’arraisonnement, indiquant un probable cas de leurrage du navire.

La route du navire juste juste avant son arraisonnement.

Un autre rapport, datant d’Avril 2019, recense plus de 10 000 cas de leurrage GPS sur une durée d’une année.

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GPS, maritime et 6 avril 2019

Plusieurs médias écrits et TV se sont inquiétés depuis février du mécanisme de Week Number Rollover prévu le 6 avril 2019. Avec des titres alarmistes, certains vous suggèrent presque de ressortir la carte papier. Alors, qui croire ? Quels impacts pour la marétique ?

GNSS, GPS, kezako

Le 10 avril 2018, le Department of Homeland Security et, plus précisément, le CERT-ICS, a émis un document à l’attention des utilisateurs du système de GNSS (Global Navigation Satellite System) GPS (Global Positioning System). Je rappelle, mais vous le savez, qu’il y a plusieurs réseaux GNSS (système de navigation par satellite en français), le plus connu étant le GPS, mais il y a aussi, bien sûr, Galiléo qui sera pleinement fonctionnel en 2020 et le système russe GLONASS, pour les plus connus ayant une couverture mondiale.

Une histoire de semaines

Dans ce document, le CERT-ICS attire l’attention des utilisateurs sur les effets possibles de la date du 6 avril 2019 sur les systèmes utilisant le GPS comme référence horaire. En effet, dans la nuit du 6 au 7 avril 2019, un peu avant minuit UTC, aura lieu un « Week Number (WN) Rollover ». En effet, la trame GPS standard contient un paramètre d’une longueur de 10 bits, représentant le numéro de la semaine (WN). Le paramètre WN dans le message GPS rebascule donc à 0 lorsque tous les bits ont été incrémentés à 1, soit toutes les 1024 semaines. La première incrémentation datant du 6 janvier 1980, et le premier WN rollover ayant eu lieu le 21 août 1999.

Les constructeurs rentrent en jeu

Théoriquement, les constructeurs de GPS sont censés respecter les spécifications de l’interfaces appelées IS-GPS-200H (pour les curieux, elle est disponible ici), qui précise bien les caractéristiques du paramètre WN et les dates de rollover. Bon, la moins bonne nouvelle c’est que les implémentations diffèrent suivant les constructeurs. Notamment, si vous avez un GPS assez ancien, il existe un risque qu’il n’ait pas été programmé pour passer un second rollover… des essais réalisés sur certains GPS ont ainsi montré que certains récepteurs géraient mal ce rollover et que la continuité de la date pourrait poser problème. Par exemple, certains fabricants ont appuyé le paramètre WN sur la date de création de leur micrologiciel… D’autres GPS pourraient revenir 1024 semaines en arrière, soit au 21/22 Août 1999…

Les constructeurs diffusent donc aujourd’hui, pour certains, des mises à jour soit automatiques, soit manuelles, suivant le modèle concerné. Par le passé, des erreurs similaires ont malgré tout pu avoir quelques conséquences. C’est le cas de certains GPS à vocation aéronautique de Garmin. Remarque, un problème similaire a déjà été rencontré lorsque certains produits sont passés à la 1000è semaine avec des conséquences pas franchement neutres !

Sur le secteur maritime, les principaux fabricants que l’on rencontre sont (vous pouvez m’en communiquer d’autres) :

Il est donc fort probable que tous les impacts n’aient pas été diffusés. Certains constructeurs moins consciencieux pourraient n’apporter qu’un support très limité, notamment aux appareils assez anciens. Enfin, d’autres ne font qu’utiliser des puces GPS issues de sous-traitants, comme Trimble (voir leur communiqué, où globalement tout va bien, mais en fait non) ou encore ST Microelectronics, qui a parfois aussi connu quelques soucis

Les impacts

Les infrastructures critiques utilisent fréquemment le GPS comme référence horaire. C’est aussi bien sûr le cas du secteur maritime, qui utilise le réseau GPS depuis des dizaines d’années, en remplacement des réseaux radio de positionnement de l’époque (LORAN et consorts, et qui se rappelle de SYLEDIS !!).

Vous l’aurez compris d’après les éléments lus ci-dessus :

  1. La liste de tous les matériels impactés n’est pas disponible
  2. Les matériels concernés semblent plutôt anciens
  3. Le rollover le se fera pas systématiquement le 6 avril…
  4. Les impacts peuvent être mineurs (après tout, on ne perd « que » potentiellement la date)
  5. A priori, pas d’impact sur le positionnement à proprement parler en latitude / longitude

La difficulté, pour le secteur maritime, c’est que la référence GPS est utilisée à d’autres fins qu’obtenir la seule position :

  1. La référence date / heure du GPS est transmise au format NMEA du GPS sur un bus (spécifique ou IP, souvent, aujourd’hui) vers de nombreux équipements qui s’en alimentent. Une mauvaise date peut donc se propager.
  2. Si le GPS dysfonctionne totalement (= perte de plus que la date), l’impact peut être important : il pourrait bien ne plus rien diffuser du tout sur le bus NMEA.
  3. La date peut être utilisée par les ECDIS, pour calculer par exemple la date/heure d’arrivée à un point. Si la date change brutalement, l’ECDIS peut répondre de manière anormale.
  4. La référence date peut aussi alimenter :
    • les systèmes SMDSM, y compris certains récepteurs INMARSAT (la référence GPS sert aussi souvent à l’asservissement / pointage des antennes paraboliques ou à diverses éphémérides)
    • les systèmes SSAS (Ship Security Alert System)
    • les systèmes VMS (Vessel Monitoring System)
    • les systèmes VDR (Voyage Data Recorder)
    • les systèmes AIS (Automatic Identification System)
    • les systèmes d’éphéméride, comme le calcul des marées
  5. Enfin, à bord des navires de tonnage important, les informations de date peuvent aussi être diffusées vers d’autres systèmes soit de synchronisation (serveurs NTP), voire pour maintenir la date de systèmes industriels embarqués, par exemple. Voir sur ce site, notamment.

Il est donc important, pour vous qui utilisez ces équipements dans le secteur maritime, de bien vérifier que votre modèle n’est pas trop ancien et non affecté par ces rollovers de mars et avril 2019. Et les mettre à jour, si nécessaire.

Pour en savoir plus : https://www.gps.gov/

La Russie suspectée d’avoir brouillé les signaux GPS pendant un exercice majeur de l’OTAN.

Mise à jour du 19 mars 2018.

La BBC nous apprend que la Russie est suspectée d’avoir brouillé le système mondial de positionnement GPS pendant un exercice majeur de l’OTAN, appelé Trident Juncture. Pas vraiment surprenant, c’est une capacité russe connue et déjà suspectée d’avoir été employée à plusieurs reprises. La zone concernée aurait été la Laponie ainsi que les terres situées à proximité de la frontière russe, au nord de la Norvège.

A la fin de l’article, la BBC évoque l’accident survenu à la frégate norvégienne Helge Ingstad, entrée en collision avec un pétrolier au sud de la Norvège, sans cependant oser faire de rapprochement direct entre les deux.

En mars 2019, la Norvège confirme avoir transmis les informations relatives à ce brouillage à la Russie pour investigation.

Les évènements redoutés en marétique

Une analyse de risques très succincte et « macro » permet d’identifier quelques évènements redoutés pouvant toucher le secteur maritime. Je ne les détaille pas de manière exhaustive, mais en voici une idée :

  • des tentatives d’usurpation ou de brouillage des systèmes de positionnement ou de communication, soit sur le navire visé, soit sur son environnement
  • des dérèglements ou pertes de disponibilité des systèmes de cartographie ECDIS (même s’ils sont souvent redondés)
  • une diffusion de fausses informations de sécurité vers le navire (SMDSM, AIS, météo…)
  • des intrusions visant spécifiquement les systèmes industriels à bord des navires
  • une prise en main à distance du navire ou d’une partie de ses systèmes
  • un chiffrement complet ou partiel de ses systèmes d’information à l’aide d’un rançongiciel

Les ports ne sont à l’abri non plus, avec :

  • une tentative de paralysie (rançongiciel)
  • là aussi, une prise en main à distance du smart port en exploitant l’interconnexion croissante entre les systèmes
  • la modification des systèmes d’information logistiques des ports (mouvement des navires, des passagers, du fret ou des moyens de manutention et de transport)
  • la désorganisation de la disponibilité des services portuaires (pilotage, avitaillement…) et la disponibilité des quais et des aires de stockage, etc.

Les systèmes de la marétique

Dans cet article, je vous détaille un peu plus ce qu’est un système marétique, en essayant de les classer au mieux.

Tout d’abord, l’appellation marétique, comme nous l’avons vu précédemment, peut concerner différentes infrastructures :

  • les navires :
    • marine marchande
    • navires de combat
    • navires de plaisance
    • navire de pêche
    • navires de recherche scientifique / hydro-océanographique / halieutique
    • péniches
  • les ports et infrastructures navales :
    • systèmes de débarquement / embarquement de containers, smartports, systèmes logistiques
    • Port et Cargo Community Systems
    • grues et portiques
    • systèmes de gestion de bassins
    • écluses
    • pipelines
  • les autres installations à terre :
    • marétique des sémaphores, CROSS, centres de commandement et de gestion des navires
  • les installations offshore :
    • plateformes de forage
    • Énergies Marines Renouvelables (EMR) : éoliennes, hydroliennes…

Ensuite, pour faciliter la compréhension, j’ai tendance à séparer les systèmes en deux grandes familles : les systèmes d’information de type « IT » (Information Technology) qui sont finalement assez communs avec ce que l’on peut trouver dans d’autres domaines, et ceux de type « OT » (Operational Technology), qui sont, pour simplifier, ce qu’on pourrait qualifier de « système métier », plutôt spécifique au monde de la marétique.

Exemples de systèmes de la marétique que l’on peut qualifier d’IT :

  • Wi-Fi embarqué
  • VoIP et autocommutateurs
  • Systèmes de distraction (réception et distribution TV, Internet…)
  • Systèmes de vidéoprotection (CCTV, Closed Circuit TeleVision)

Exemples de systèmes spécifiques de la marétique que l’on peut qualifier d’OT :

  • Systèmes de navigation électronique (ECDIS, Electronic Chart Display and Information System), radars
  • Systèmes de positionnement (GPS, Global Positioning System ou plus précisément et plus largement GNSS, Global Navigation Satellite System) et de communication (AIS, Automatic Identification System, VMS, Vessel Monitoring System, SSAS, communications par satellite…)
  • Systèmes météorologiques et environnementaux
  • Systèmes de contrôle-commande industriels : propulsion, énergie, surveillance, hydroliennes, propulsion dynamique
  • Outils de gestion et de contrôle du trafic maritime et des cargaisons
  • Systèmes militaires spécifiques : systèmes de combat…

Bien entendu, comme dans d’autres domaines, le périmètre et la définition peut être floue : ces systèmes sont de plus en plus fréquemment interconnectés. La marétique comprend donc l’ensemble des équipements (serveurs, postes clients, automates, réseau, applications…) constitutifs du système d’information.

Un ECDIS à bord d’un navire marchand (By Hervé Cozanet (http://www.marine-marchande.net/) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), via Wikimedia Commons)

Et le futur, ce sont les navires autonomes. Je vous donne plus d’informations ici sur ce sujet.

Dans le prochain article, je vous détaille les spécificités de ces systèmes.